Plan Borloo et précarité
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Le plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo est à replacer dans un contexte particulier, celui de l’extension constante de la précarité de l’emploi après celui de la montée et de la consolidation du chômage dans les
années 90. Aujourd’hui, alors que plus des trois-quarts des embauches se font en CDD, que l’intérim s’étend, que le temps partiel imposé reste important, la norme salariale des trente glorieuses est durablement remise en cause : la précarité est proposée, imposée, comme modèle d’entrée sur le marché du travail pour les nouveaux recrutés et pour les jeunes générations, l’emploi précaire devenant non plus un stade transitoire, mais une forme durable d’emploi, y compris pour une partie des jeunes diplômés.
Parallèlement à cette montée de la précarité de l’emploi, avec toutes ses conséquences (précarité du logement et impossibilité de décohabiter, précarité du revenu, de la santé, difficultés à se syndiquer et se défendre,
etc...), une très forte coercition est instaurée sur les demandeurs d’emploi, considérés comme des coupables de leur chômage, pour les inciter à reprendre n’importe quel emploi, même au rabais par rapport à leur qualification ou à leur salaire antérieur, sous peine de perdre leurs
allocations ou de les voir diminuer. C’est donc la logique du « workfare  » qui tend à s’imposer, ou de la contrepartie exigée en échange de toute allocation, comme on l’a vu avec la création du revenu minimum d’activité (RMA), visant à se substituer au RMI. Le tout constitue un ensemble très
cohérent.
Le Plan « Borloo  » a séduit toute une partie de la classe politique par son constat du développement dramatique de la précarité et du maintien du chômage à un haut niveau et son aspect volontariste, or il ne répond pas du tout aux enjeux du moment, car il recrée des contrats de courte durée (six
mois renouvelables sur trois ans pour le dit « contrat d’avenir  ») et banalise la précarité au lieu d’essayer de l’endiguer. En fait, c’est la renonciation aux objectifs de plein emploi et « d’emploi convenable  » qui est entérinée. Il ne s’agit plus que chacun ait un emploi et un revenu
décent avec une relative sécurité, mais il faut faire « tourner  » les actifs dans de multiples dispositifs entre emploi et insertion et dans des sous-statuts d’emploi.
Bien plus, le plan « Borloo  » instaure pour la première fois, et c’est plus qu’inquiétant, la privatisation du service public de l’emploi et l’entrée du patronat dans la gestion au plus près des chômeurs, par la suppression du
monopole de l’ANPE et la création des « maisons de l’emploi  », où se côtoieront l’ANPE, l’ASSÉDIC, les agences d’intérim et de placement privées, les chambres patronales, avec des risques de perte de confidentialité des données relatives au suivi des demandeurs d’emploi. Enfin, les demandeurs d’emploi seront fortement aiguillés vers les métiers en difficulté de recrutement dans leur bassin d’emploi, métiers dont les conditions de travail et de salaire très dégradées n’attirent pas spontanément les
vocations (bâtiment, restauration, hôtellerie, transports). S’ils refusent, des « sanctions justes et graduées  » leur seront appliquées, et pour la première fois leurs allocations pourront être diminuées discrétionnairement.
Va-t-on vers un jugement moral des chômeurs ?
Ainsi, c’est toute la logique qui avait présidé à l’instauration du RMI, avec la volonté de mettre l’accent sur l’insertion concernant toutes les difficultés et handicaps accumulés par la personne faute d’emploi et de
revenu, avant le retour à l’emploi, qui est remise en cause : alors que le nombre de RMIstes est passé en 15 ans de 422 000 à 1,1 million du fait de la suppression ou du recul de l’assurance-chômage, on prétend que les RMIstes sont tous prêts à retourner dans l’emploi, en méconnaissance de la « casse  » qu’ils ont subie. Le RMA consistait même, en versant à l’employeur la totalité du RMI, à l’exonérer de toute cotisation à retraite sur cette partie, ce qui a du être revu. C’est dire l’ampleur des effets d’aubaine
ainsi créés pour les employeurs !
Au lieu d’essayer de « moraliser  » le marché du travail en limitant le recours abusif aux CDD et à l’intérim, le plan de cohésion sociale entérine son fonctionnement erratique, qui reporte la totalité des risques de la flexibilité sur les salariés sans leur assurer la moindre sécurité.
Pourtant, les propositions existent, tant chez les chercheurs (notamment Alain SUPIOT) que dans les syndicats, avec la proposition CGT de « sécurité sociale professionnelle  ». Jusqu’à ce que Jean-Louis Borloo exhume
soudainement l’idée d’assurer une continuité de salaire aux licenciés économiques, rien n’en était retenu. Mieux, les règles encadrant le licenciement économique depuis la loi de modernisation sociale votée par la gauche sont revues à la baisse, et le licenciement facilité.
Il y a bien d’autres aspects qui sont inquiétants ou qui traduisent une régression des droits sociaux et des libertés de choix de son avenir et de son travail dans le plan « Borloo  », comme si la précarité imposée aux
salariés devait s’accompagner d’une plus grande soumission aux diktats du capitalisme, et comme si chacun devait indéfiniment s’adapter, se « formater  », pour répondre aux exigences sans fin du patronat présentées comme une
nouvelle fatalité : le développement de l’apprentissage dès 14 ans est proposé sans que jamais n’intervienne la notion de « choix  » pour le jeune, et le contrôle patronal se voit renforcé par la création des « référents uniques  » et l’association des syndicats patronaux à la définition des
contrats d’objectifs et de moyens sur l’insertion professionnelle des jeunes. Quant aux « internats de réussite éducative  », gare à recréer des maisons de redressement pour jeunes en difficulté !...
En conclusion, malgré ses effets d’annonce et le regrettable consensus dont il a fait l’objet (il ne faut toutefois pas oublier les vives critiques émises à son encontre par le Conseil Economique et Social), le plan de
cohésion sociale de Jean-Louis Borloo ne nous semble pas répondre aux enjeux de notre période, qui sont de recréer des garanties collectives pour les salariés confrontés à une flexibilité du travail sans précédent.
Son renoncement à un objectif de croissance de l’emploi dans un cadre de qualité est patent.
Bien plus, c’est en fait une poursuite et une accentuation très claires des attaques libérales contre les droits existants des salariés et des chômeurs, attaques que l’on rencontre dans tous les pays européens à des degrés divers
et qui indiquent à quel point ce sont les objectifs de l’Europe en matière d’emploi et de protection sociale qui sont en cause.
par Evelyne Perrin - AC !.
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