BORLOO Ã vau-l’eau
par
La loi Borloo, dite de cohésion sociale, est un fourre tout qui permettra sans doute tout et n’importe quoi. Elle apparaît surtout comme un écran de fumée pour nous occuper et masquer des « réformes  » beaucoup plus nocives.
Nous pouvons aborder cet « ectoplasme » sous différents points : l’aspect technique des mesures proposées, l’aspect idéologique, la remise en perspective dans une politique plus vaste (projet gouvernemental, refondation sociale du MÉDEF).
Pour l’aspect technique, notre ministre Borloo a divisé ça en « trois piliers  » : emploi, logement, égalité des chances. Ça rappelle la loi contre les exclusions de 1998 dont certains décrets sont sortis trois ans après. Ce sont quand même deux textes différents et leur esprit aussi.
A propos de l’emploi
La grande nouveauté ce sont les maisons de l’emploi, sorte de guichet unique pour le demandeur d’emploi, qui aura d’ailleurs un dossier unique. Dans ces maisons de l’emploi, en dehors de l’AFPA ou de l’ANPE, on aura aussi du privé, et l’UNÉDIC. Le pauvre petit chômeur ne sera plus perdu et tous ses pas seront accompagnés. C’est pas chouette ça ? Ces maisons seront placées sous « l’autorité d’un manager expérimenté  ». Et « l’ensemble du dispositif de placement des demandeurs d’emplois sera réformé » pour « un nouvel équilibre des droits et des devoirs  ».
La continuité de ce qui existe déjà comme les aides d’Etat pour le secteur de l’insertion, les entreprises qui embauchent des pauvres sur des contrats précaires...
D’ailleurs Borloo fait le ménage dans ces contrats pour que les pauvres travaillent mieux et comme il le dit : « il faut tout au contraire tendre à une application effective du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : “chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi”  ».
Les CES et CEC seront supprimés et remplacés par le « contrat d’accompagnement dans l’emploi  » à destination du secteur non marchand. Pour le détail (nombre d’heure, formation, public) il faudra attendre les décrets. Pour le secteur marchand ce sera un « label unique  », le contrat initiative emploi. En ce qui concerne les demandeurs d’emploi « qui bénéficient d’un allocation d’assistance  » (RMI, ASS) deux contrats :
- Le premier en secteur non marchand, le contrat d’avenir, sur la base de 26 heures avec des heures de formation inclues, le patron touchant l’allocation du « bénéficiaire  ».
- le second, le RMA est recentré sur le secteur marchand et sa durée est changée : il pourra aller jusqu’à 35 heures et les cotisations sociales porteront sur la totalité du revenu.
Un accompagnement plus « serré  » est prévu pour les jeunes de moins de 25 ans. Là c’est la mission locale qui joue un rôle central. Il y a une volonté de globaliser les questions de formation, emploi, logement, transport, santé. Les jeunes seront orientés vers les « métiers du plein-emploi  » (ça veut dire quoi ?) grâce aux « plates-formes de vocation  » (c’est beau non ?). Une « allocation intermédiaire est servie quand le jeune est entre deux contrats afin qu’il n’y ait pas de rupture de revenu  ». Dans quelles conditions, de quel montant, le texte ne le dit pas.
La question du logement
Il est affiché, comme l’année dernière, une volonté d’augmenter le nombre de logements construits, la destruction d’anciens, l’augmentation des places d’hébergement et la modification du statut des offices HLM avec la fixation des loyers non pas par l’Etat mais par chaque bailleurs sociaux. C’est encore et toujours une vision comptable du logement qui est à l’Å“uvre. Si les financements ne sont pas là , rien ne changera.
La question de l’égalité des chances
Ce n’est pas ce qui prend le plus de place dans la loi. Dans l’ensemble c’est assez vague, avec un accompagnement des enfants et des collégiens en difficulté, la promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le soutien aux villes en grande difficulté, l’accueil et l’intégration des étrangers. Borloo veut, dans le cadre de l’égalité homme-femme, valoriser l’activité des femmes à la maison en « concevant un module d’ingénierie familiale intégré  ».
Apparemment, entre le texte de cet été et celui présenté en conseil des ministres le 15 septembre certains passages ont disparu mais c’est sans doute pour mieux réapparaître plus tard, comme la question des services aux personnes (« accroître les incitations financières à travailler à temps partiel  ») qui serait un formidable gisement d’emploi d’après notre ministre : « Les aides aux personnes représentent un gisement de l’ordre de 3,5 millions d’emplois  » et « il suffirait que chaque ménage consomme trois heures de ces services par semaine pour créer environ deux millions de nouveaux emplois, c’est-à -dire pour résorber le chômage  ». (La Tribune, 27 septembre 2004). Il déclare explicitement qu’il s’appuie sur le modèle américain. Quand on connaît le taux de travailleurs pauvres qui existe aux Etats-Unis, on ferait mieux de se passer de ce modèle. Il annonce cette bonne nouvelle pour Noë l.
Au niveau idéologique il y a une continuité. Le gouvernement Raffarin n’introduit pas de réelle rupture. On observe cette idéologie dans le vocabulaire utilisé. En vrac : « la création économique y est bridée, notamment dans le secteur du service aux particuliers  », il faut allier « la fluidité économique nécessaire aux entreprises à un “filet social” de haut niveau pour les individus  ». Il paraît que dans les pays nordiques « les contraintes ont été allégées, les statuts et la gamme des horaires de travail diversifiés  ». « Les chômeurs bénéficient [en contrepartie] d’une indemnisation très protectrice et ceux qui peinent à se réinsérer sont rapidement soutenus  ».
Il faut « moderniser le contrat de travail  », favoriser « l’essor du marché des services  », « lever les verrous  »...
En 1995 Chirac voulait réduire la « fracture sociale  », aujourd’hui Borloo parle de « cohésion sociale  ». En dix ans nous sommes toujours sur un discours de façade pour toujours mieux contrôler, pressurer les pauvres.
A travers son discours d’entrepreneur et libéral c’est aussi, encore et toujours, le recours à l’Etat (donc à la population à travers taxes et impôts divers) pour ce qui est des aides et exonérations à l’embauche de personnes à temps partiel et précaires.
Finalement ce n’est que la suite des politiques menées depuis des années avec effet d’annonce, flou des actions proposées (qui pour un certain nombre ne verront jamais le jour faute de thunes), aggravation de la précarité (contrat de travail au rabais, réforme du code du travail,...), un discours vantant les mérites du « travail  », stigmatisant les « assistés  », accentuant les fausses divisions entre chômeurs et travailleurs.
Malgré tout quelques « nouveautés  » : la fascination pour le modèle américain, après Sarko c’est Borloo qui nous fait le coup. Le plan de cohésion sociale fait partie d’une fusée à plusieurs étages, comme en son temps la refondation sociale du MÉDEF avec ses huit chantiers. Il est intéressant de noter les similitudes entre les deux, au-delà des rapports de familles (les frères Sarkosy, un ministre et un n02 du MÉDEF). Pour mémoire, les huit chantiers du MÉDEF c’étaient : l’assurance-chômage, la santé au travail, les retraites complémentaires, la négociation collective, la formation professionnelle, la protection sociale, la place des cadres, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le PCS fait donc partie d’un ensemble plus vaste de « réformes  » : réforme des retraites, de la Sécu, du code du travail (sa « nécessaire simplification  »), avec « l’assouplissement  » de la législation sur le CDD et l’intérim, des 35 heures...
Le ministre et ses acolytes (à gauche aussi) nous assène des croyances. La croyance dans le toujours plus : plus de croissance, plus d’emploi (lesquels ?), plus de travail. La croyance dans « l’école américaine  » sur les « gisements d’emplois  » dans l’aide à la personne (est-ce l’effet du syndrome canicule ?) : bien exploité et il n’y aurait plus de chômeurs ! Calcul purement mathématique : un emploi de ce type dans ce secteur, on sait ce que c’est. C’est loin d’être 35 heures de boulot et surtout d’un niveau de revenu suffisant pour vivre. Cela impliquerait aussi que tout le monde peut et veut employer des personnes à domicile. D’un côté il y a les aides de l’Etat, les exonérations d’impôts (voir projet de budget de Sarkozy), pour les employeurs de ces « domestiques  », de l’autre les employés auront de faibles salaires : quelles cotisations sociales (Sécu, chômage, retraite) vont atterrir dans les caisses ? Mais on imagine que Raffarin et ses sinistres s’en foutent puisque l’Etat privatise à tour de bras ces différents secteurs et a la volonté d’accélérer la marchandisation des solidarités de proximité, de toutes les solidarités.
Laissez-nous vivre
A la lecture à la fois du plan de cohésion sociale, de l’exposé des motifs, de l’explication des articles du projet de loi, un sentiment domine à travers le flou des incertitudes : c’est le sentiment que le gouvernement cherche tellement la sécurité, la sécurisation de tout et de rien qu’on ne peut plus respirer. Tout semble codé, tracé, encadré pour faire le « bien  » de la population à sa place. On a envie de crier : « foutez-nous la paix  ».
S’il y a à lutter contre le PCS [1], il devra s’agir d’une lutte sur le discours, sur du projet, des idées de société, car le contenu du PCS est tellement flou et vague, dépendant des décrets, que beaucoup de gens peuvent y croire, se dire « c’est pas si mal  ». Il s’agira donc avant tout d’une bataille de mots, d’idées, de désirs pour contourner, dépasser ce retour de la novlangue : nous allons « moderniser le contrat de travail  »...
Anne du collectif AC ! Limoges.
Les passage entre guillemets sont extraits des documents du Plan de Cohésion Sociale, que ce soit l’exposé des motifs, le projet paru cet été ou le texte à destination des sénateurs.
Sur la refondation sociale du MÉDEF, lire : « MÉDEF, un projet de société  », Thierry Renard, Voltairine de Cleyne, Syllepse, 2001.
[1] Plan de Cohésion Sociale.