Exploiter, atomiser, contrôler les invisibles
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Jusqu’à quand resterons nous aveuglés par le mensonge déconcertant d’un mode de production fondé sur une exploitation que les maîtres de ce temps n’ont de cesse de dissimuler ? Comment défaire l’obscurantisme régnant et la novlangue technocratique qui l’accompagne ? Comment construire un égoïsme collectif apte à s’opposer efficacement à ces lois qui organisent la misère dans des pays de capitalisme développé dont la richesse ne cesse de croître ? Mensonge déconcertant ? Le très misérable RMIlblick dont dépend déjà la survie impossible de millions de personnes n’est-il pas précisément interdit aux 600 000 chômeurs et précaires de moins de 25 ans dépourvus d’allocation de chômage ? Ce RMIlblick n’est-il pas interdit aux stagiaires, aux apprentis, aux scolarisés, aux étudiants ? Le « revenu d’insertion  » n’est il pas précisément interdits à ceux qui tentent de s’insérer ?
Cette discrimination brutale n’a qu’un but : garantir aux employeurs des bas salaires parmi les entrants sur le marché du travail suffisamment longtemps pour assurer le profit immédiat dans les mac-do, le phoning, l’hôtellerie, la restauration, le commerce, le spectacle et autres secteurs d’activité ou règne la précarité de l’emploi. 80 % des embauches sont à durée déterminée... Immédiateté du profit mais aussi rentabilité anticipée, calcul : c’est un nouveau dressage à la soumission de générations de salariés qui s’est progressivement mis en place. La lutte pour l’emploi colonise désormais le quotidien de nombre de salariés. Annoncer des embauches de caissières à 20 heures par semaine a toute chance de provoquer un cortège de candidatures structuré par la concurrence de chacun contre tous les autres.
De la sortie du système scolaire au minimum vieillesse, aucune forme de garantie substantielle n’est assurée aux salariés. Salaires d’embauche diminués, stagiaires gratuits ou sous-payés, temps partiels au SMIC horaire, contrats à durée déterminée qui n’ouvrent pas droit aux allocations de chômage, CES à un demi SMIC, surendettement à vie, chasse aux sans logis : l’insécurité sociale s’est généralisée.
Publicitairement nommé « loi de cohésion sociale  » un nouveau dispositif inégalitaire risquait d’être instauré sans qu’aucune critique n’en dévoile la fonctionnalité réelle, sans qu’un point de vue s’oppose au mensonge officiel ou à la dénonciation purement caritative. Supprimer l’ASS à des centaines de milliers de chômeurs, contraindre 300 000 allocataires des minima sociaux à des emplois sous payés dont les « bénéficiaires  » seront corvéables à merci, généraliser un statut de sous-locataires sans droit au maintien dans les lieux dans le logement social, qu’est ce d’autre qu’organiser l’inégalité et institutionnaliser la précarité que l’État prétend combattre ? Derrière le rideau de fumée de la cohésion, rien d’autre qu’un contrôle salarial élargi à la société entière. À la discipline de l’usine, son enfermement, ses contremaîtres, sa grille des qualifications, succède le contrôle de la mobilité dont les formes du salaire socialisé, c’est à dire indépendant de l’occupation désormais momentanée d’un poste de travail, sont les instruments essentiels. La terreur économique règne sur tous les moments de la survie. La plasticité du travail vivant se doit d’être canalisée, exploitée, reléguée, détournée, manipulée, captée par le commandement du capital.
Insertion ? Cohésion ? La langue de l’État n’est qu’un bidule qui matraque son idéologie du travail. Le patron collectif a pour fonction primordiale de garantir les conditions de l’exploitation, l’atomisation des salariés et le contrôle. Après l’instauration de la dégressivité des allocations de chômage par les gestionnaires de l’UNÉDIC, la suppression en cours des fonds sociaux des ASSÉDIC, quelle sera la prochaine étape vers le workfare, vers un travail forcé destiné à raffermir une domination dont les États-Unis qui conjuguent le plus fort taux mondial de détention parmi leur population et une flexibilité sans égal offrent un riant exemple ? L’activation des dépenses sociales recommandée avec insistance depuis 20 ans par les hiérarques de l’OCDE va aujourd’hui jusqu’à la remise en cause du lamentable RMI.
La gestion de la population que les États mettent en oeuvre, avec ce coeur et cette humanité qu’attribuait notre Debré zéro local à la rafle opérée en aoà »t dernier contre les sans-papiers en lutte à St-Bernard, repose sur la raréfaction de l’accès à la richesse sociale produite par ces populations, c’est à dire nous mêmes. Fabriquer du sans-papiers, du sous-locataire, des sous-payés, mettre en scène chaque hiver à grands renforts de tv-pédagogie nos morts de misère, c’est produire à bon compte cette « horreur économique  » qui glace les coeurs et les sens, pétrifie chacun dans l’isolement de la concurrence.
Pénible silence des atomisés, des invisibles. Parmi les plus précarisés d’entre nous, des sans-papiers ont montré qu’apparaître au grand jour était possible. Rester passifs en pensant ne pas être en mesure de gagner quoi que ce soit est un calcul erroné. L’attaque patronale contre les quelques garanties concédées aux intermittents du spectacle a provoqué la mobilisation des milliers de précaires qui ont partout pris la parole, occupé, défendu leur statut de salarié et ont ainsi contraint l’UNÉDIC a reculer. Avec ce répit, le débat sur la nécessité de conquérir des droits sociaux concrets va continuer plus que jamais parmi les travailleurs précaires. À chacun d’y prendre sa part. Où il y a de la chaîne, il n’y a pas de plaisir... À la revoyure...
Paris, le 21 avril 1997.
CARGO (Collectif d’Agitation pour un Revenu Garanti Optimal)
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