Paritarisme ou démocratie sociale ?
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La convention qui régit l’assurance-chômage arrive à échéance le 31 décembre 99 et, à ce jour, les négociations pour son renouvellement ne sont pas engagées. Pourtant, toutes les confédérations syndicales qui cogèrent le système avec les représentants du patronat se sont prononcées pour qu’elles commencent immédiatement. Le MÉDEF, engagé dans une partie de bras de fer avec gouvernement, prend donc les chômeurs en otages. Il veut que soient entérinés les accords de branche sur les 35 h, même s’ils sont inférieurs à la loi, en menaçant de ne pas négocier dans le cadre de l’UNÉDIC, voire, d’abandonner la gestion de la sécurité sociale.
Les associations (AC !, APEIS, MNCP) et les comités de chômeurs CGT avaient demandé dès le printemps 1998 l’ouverture de négociations pour une transformation profonde d’un système qui ne remplit pas, ou plus, la mission qui devrait être la sienne. Les ASSÉDIC n’indemnisent aujourd’hui que 40 % des demandeurs d’emploi ; les autres doivent se contenter des allocations de solidarité versées par l’Etat ou de l’un des minima sociaux qui font de plus en plus figure d’allocation chômage. « Tout se passe comme si l’existence d’un revenu minimum d’insertion avait autorisé un certain désengagement des systèmes d’indemnisation du chômage...  » (Marie-Thérèse Join Lambert - rapport au Premier Ministre mars 1998). Un grand nombre de chômeurs ne bénéficient d’aucune allocation à la suite du durcissement des conditions d’ouverture de droits. Les jeunes, par ailleurs interdits de RMI jusqu’à 25 ans, en sont les principales victimes, alors même qu’ils cotisent lorsqu’ils travaillent. Manque de chance pour eux, il s’agit le plus souvent d’emplois précaires, de trop courte durée. Ils sont plus de 500 000 dans ce cas.
Les allocations baissent de 17 % tous les 6 mois en moyenne et leur montant moyen est de 4000 F. « Ces transformations ont contribué à la croissance de la pauvreté dans sa définition relative  » (J.Freyssinet - rapport du Conseil d’Analyse Economique au Premier Ministre - 1997). Accroissement de la pauvreté mais aussi moindre capacité à résister à la précarisation imposée par les contrats courts et les temps partiels contraints : le régime d’indemnisation du chômage permet de « formater  » la main d’oeuvre pour la préparer à la précarité généralisée et à la baisse du coà »t du travail.
Nous avons donc affaire maintenant à un régime, paritaire certes, mais qui met en oeuvre les principes les plus libéraux, considérant que la diminution et même la privation du revenu de remplacement constituent une incitation au retour à l’emploi. Lors des négociations de 1992 qui ont instauré l’essentiel des règles nouvelles sous le prétexte d’une situation financière difficile, les organisations syndicales signataires (CFDT, CFTC et CGC) ont justifié leur signature parce que « le système était sauvé  ». Le chantage actuel du MEDEF laisse présager le pire, toujours pour « sauver le système  » ! Le patronat, profitant d’une division syndicale lourde de conséquences, impose sa loi et choisit avec qui il dirige : le changement de présidence en 92, de FO à la CFDT n’aurait pas pu avoir lieu sans son aval.
Les usagers du système n’ont pas leur mot à dire : les salariés ne sont représentés que par les confédérations syndicales, alors que, dans le secteur privé, le taux de syndicalisation tourne autour de 5 %, quant aux chômeurs, l’UNÉDIC a refusé qu’ils soient représentés dans ses instances, et a toujours refusé ne serait-ce qu’une rencontre avec leurs associations ! D’autres systèmes de gestion existent ou, plutôt, existaient - : la sécurité sociale étaient, jusqu’en 1967, gérée par une majorité de représentants des salariés et des élections étaient régulièrement organisées chez tous les assurés sociaux.
La constitution française fait obligation de fournir à chacun un emploi ou, à défaut, des moyens convenables d’existence. Devant la montée de la précarité et de la pauvreté, il faut penser d’urgence aux moyens d’assurer la sécurité matérielle de toutes et tous, et cela lors des différentes phases de la vie. On ne peut pas tolérer plus longtemps que des millions d’hommes et de femmes soient pris et rejetés sans moyens de vivre, sans avenir.
C’est ce que pensaient ceux qui ont construit la sécurité sociale en 1945. C’est aussi ce que pensaient les syndicats qui, comme la CGT et la CFDT dans leur déclaration commune au Premier Ministre de décembre 1974 demandaient que les travailleurs privés involontairement d’emploi aient des allocations qui, en aucun cas, ne devaient être inférieur au SMIC. Garantir un revenu à tous et toutes quelle que soit sa situation, voilà qui permettrait de poser différemment les questions de formation, qui permettrait de résister à la précarité mais aussi à l’intensification du travail en redonnant de la liberté de choix. Ces garanties doivent être données à tous et toutes sans exception et les bénéficiaires d’un revenu ne doivent pas être perpétuellement considérés comme coupables à priori, devant, à tout moment, justifier de leur activité sous peine de radiation. La baisse actuelle des chiffres officiels du chômage doit beaucoup à ces contrôles incessants.
Quels pourraient être les contours institutionnels d’un tel système ?
Le débat doit s’ouvrir. Mais en aucun cas le patronat ne devrait pouvoir y être majoritaire. Une gestion démocratique ne sera possible que si tous les usagers, salariés et chômeurs, sont consultés, ce qui nécessitera un processus électoral. Plutôt que de supplier le MÉDEF de ne pas mettre ses menaces de départ des structures paritaires à exécution, pourquoi ne pas en profiter pour faire une avancée significative dans une démocratie sociale nouvelle ? Pierre Laroque, directeur de la sécurité sociale en 1946 proposait que « l’organisation de la sécurité sociale soit confiée aux intéressés eux-mêmes  », cela précisément parce que le plan de sécurité sociale ne tend pas uniquement a l’amélioration de la situation matérielle des travailleurs, mais surtout à la création d’un ordre social nouveau dans lequel les travailleurs aient leur pleine responsabilité.
Cet enjeu nous semble toujours d’actualité, et il mériterait que l’ensemble des forces syndicales et associatives se mobilisent.
par Claire Villiers - militante syndicaliste et à Agir ensemble contre le Chômage - décembre 1999.