Légère condamnation pour une affaire de droit au logement

Limoges
samedi 10 juillet 2004
par  AC ! Limoges

Ouvrir un logement vide afin de permettre àdes personnes et des associations sans logis de s’y installer reste illégal, même si cela est légitime. C’est ce que les juges du tribunal de grande instance de Limoges ont signifié mercredi dernier àAntoine, militant du collectif de défense du droit au logement (DéDAL) en ne le relaxant pas.
Bien sà»r, la condamnation - 50 €uros - est légère au regard du risque encouru pour « dégradation de biens appartenant àautrui  », les biens en question
étant des parpaings obturant l’entrée d’un immeuble vide appartenant àla mairie de Limoges. Pourtant les conditions juridiques étaient requises pour que la relaxe soit prononcée. Mais les juges limougeauds, bien
qu’apparemment embarrassés par cette affaire, comme l’atteste un jugement aussi modéré, n’ont pas franchi un pas qui pouvait renforcer la jurisprudence sur l’état de nécessité. Modéré mais pas courageux, c’est ce qu’on peut retenir de ce jugement.

Rappel des faits

Le 15 mars dernier, àla fin de la manifestation contre les expulsions de logements, les manifestants sont invités àpoursuivre l’action en allant démurer un immeuble inoccupé, appartenant àla mairie. Une centaine de personnes se rend alors devant le dit immeuble situé non loin de là, juste en face de la cathédrale. Plusieurs personnes se succèdent pour casser les
parpaings àcoup de masse, sous les applaudissements, les slogans et des chansons. Des renforts de police sont diligentés mais ceux-ci n’interviennent pas se contentant de prendre des photos des manifestants.
L’immeuble est investi. Une banderole est déployée. Tout le monde peut constater qu’il est en excellent état. Deux heures plus tard, les flics s’en vont, laissant l’immeuble avec ses occupants. Deux jours durant, des dizaines de personnes vont se relayer pour le garder face àune possible expulsion. Mais on est entre les deux tours des élections régionales et rien
ne se passe du côté de la répression. Toutefois, la mairie (gauche poubelle) dépose une plainte dès le lendemain. Une semaine plus tard, la police procède àdes interrogatoires de deux militants du DéDAL et même àune perquisition au domicile de l’un d’entre eux. Antoine est identifié et se retrouve inculpé dans la foulée.
Pendant ce temps-là, la nouvelle maison occupée retrouve une deuxième vie.
Le jardin est remis en état. Un espace collectif sert aux assemblées générales et àd’autres activités (répétition de la chorale d’AC !, atelier conte...). Un autre espace est transformé en infokiosque. Le reste sert àl’habitation : une dizaine de personnes dont certains habitaient auparavant dans un autre squat dont l’expulsion avait été ordonnée s’y installent pour
y habiter, la plupart étant des algériens en demande d’asile territorial.
L’immeuble, situé juste en face de la cathédrale est alors baptisé le Squathédrale. C’est le troisième immeuble occupé par le DéDAL depuis 2002, année de création du collectif.
Mais alors que l’ensemble des manifestants présents àcet endroit-là, le 15 mars dernier, peuvent revendiquer la destruction des parpaings, un seul militant se retrouve inculpé et doit répondre de cet acte devant la justice.
Cela ressemble étrangement àune prise d’otage et àla volonté de faire un exemple.

Le droit au logement en procès

Droit au logement face au droit de propriété, le débat est classique et régulièrement l’institution judiciaire est appelée às’y prononcer, souvent lors d’audience de référé, àla demande d’un propriétaire réclamant des
expulsions. En général, elle tranche en faveur du second. Mais làcette question se retrouve biaisée puisque c’est la dégradation de biens, en l’occurrence une cinquantaine de parpaings, qui se retrouve au centre du débat judiciaire. La question principale, celle du droit au logement, n’est pourtant pas loin. C’est làdessus qu’une fois de plus, va s’appuyer la défense. C’est àpartir de la situation existante, la crise actuelle du logement, qu’elle va mettre sur la place publique les fragilités de l’accusation d’une part en s’appuyant sur la notion d’état de nécessité et d’autre part sur l’absence d’intervention de la police au moment des faits.

L’état de nécessité

Voici des extraits du travail accompli par l’équipe de défense d’Antoine : « L’article 122-7 du code pénal exige que le danger auquel l’agent a cherché àse soustraire soit actuel ou imminent et que l’acte accompli soit nécessaire et utile  ».
Les juges ont déjàeu àtraiter de cette question dans le domaine du droit au logement avant même la consécration légale de l’état de nécessité.

Qu’en est-il lorsque l’acte est commis pour autrui ? La cour d’appel de Rennes , le 25 février 1957, rejette l’état de nécessité revendiqué par des soutien aux sans-logis poursuivis pour bris de clôture. Malgré cela, elle admet « qu’il faut encore observer que l’état de nécessité ne suppose pas nécessairement que le fait délictueux a été commis par celui-làmême qui personnellement en danger, s’il l’a été pour secourir ce dernier  ». Aujourd’hui, la jurisprudence est plus encline a étendre l’idée de l’état de nécessité aux actes commis pour autrui.

Le tribunal de Grande instance de Paris rend une décision de relaxe le 28 novembre 2000. Un homme était poursuivi pour avoir scié les gonds d’un appartement qu’il a ensuite squatté avec sa famille afin de vivre dans un logement plus grand que le précédent qui faisait 8 m². Dans ce cas d’espèce, le tribunal estime « qu’il s’agit là, d’une réaction nécessaire et mesurée
au danger réel, actuel et injuste, auquel son enfant, sa femme et lui étaient confrontés  ».

A partir de ces deux points de vue judiciaire, on établit au regard de la situation du logement exposé et au regard de la situation des personnes vivant dans le squathédrale qu’il y a bien un danger réel, actuel, et
injuste auquel la dégradation des parpaings répond comme une réaction nécessaire et mesurée.

D’une manière plus offensive l’équipe de défense avance l’idée que l’acte est même socialement utile. Car, le trouble àla loi est moindre vis-à-vis du bénéfice réalisé par l’ouverture du squat (personnes logées, activités associatives, protection patrimoine. De même le DéDAL invoque la montée croissante du droit au logement, déjàreconnu comme un objectif àvaleur
constitutionnel, reconnu légalement (ex : loi Besson du 31 mai 1990 « garantir un logement constitue un devoir de solidarité pour la nation  ») et également dans les pactes et traités internationaux (Pacte internationale
relatif aux droits sociaux, économiques et culturels)

L’absence d’intervention policière lors de la commission de l’acte

« L’argument peut paraître fallacieux, écrivent les membres de l’équipe de défense, il ne l’est pas. Lors de la commission de l’acte incriminé, des policiers étaient présents. A l’issue d’une manifestation encadré par les
forces de l’ordre, l’entreprise d’ouverture de la maison du 42 rue Porte-Panet s’est faite sous le regard des policiers assurant la circulation et la sécurité de la manifestation. Très vite, des renforts sont arrivés.
Les policiers étaient en nombre, et mobilisables pour empêcher la commission de l’acte d’autant plus qu’elle a été annoncée publiquement quelques minutes auparavant. Si la force publique n’est pas intervenue, c’est probablement en estimant que le trouble causé par une dispersion des manifestants serait supérieur àcelui de laisser l’acte se commettre. Par là, nous estimons que
les représentants de l’ordre ont agi avec circonspection, reconnaissant implicitement le caractère au moins socialement indifférent de l’acte commis  ».

La mairie dans l’illégalité

A cela s’ajoute un troisième élément : la mairie a procédé au murage de cet immeuble, voici un an, sans en avoir demandé l’autorisation comme la loi l’y oblige, d’autant plus que le quartier est classé. L’architecte des Bâtiments de France, par ailleurs habitant quelques maisons en dessous du squat a fait une attestation officielle explicitant que la mairie avait procédé en toute illégalité.
Bien sà»r, les militants du DéDAL n’avaient pas àse substituer àla force publique pour rétablir l’ordre mais c’est quand même la mairie qui s’est placée en dehors de la loi en murant cette maison sans autorisation. De même le permis de démolir lui a aussi été refusé, d’autant plus qu’elle n’a aucun projet sur cet espace.
Face àcela, l’accusation était aussi timide que médiocre. Le procureur a demandé la condamnation d’Antoine en disant que pour ce genre d’affaire il
réclamait habituellement un travail d’intérêt général mais non sans humour il pense qu’Antoine estime déjàen avoir fait un en démurant la maison.
Aussi il réclame une amende de 300 €uros.
En réponse, l’avocate reprend les thèses défendues par l’équipe de défense d’Antoine. Celui-ci, lors de son interrogatoire par le président avait pu développer son argumentation, applaudi massivement par l’ensemble du public, dans une salle d’audience bondée avec même des personnes assises par terre dans les allées, donnant àl’audience, malgré le décorum sinistre, un petit
air d’AG, ceci sans aucune réaction ni menace du président, signe que la partie était bien engagée du point de vue de la défense.
Le prochain acte se déroulera peut-être au cours de l’été puisque le jugement d’expulsion a été rendu le mois dernier, laissant aux occupants un délai de deux mois pour déguerpir. En attendant le squathédrale, au 42 rue Porte Panet continue àvivre.

par Christophe - Limoges, le 9 juillet 2004.


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