Utiliser les emplois aidés comme cheval de Troie du revenu
par
Aux Assises de juin 1998, la commission revenu d’AC ! avait fait circuler un texte proposant le recours aux emplois aidés pour financer le mouvement. Cette proposition avait été rejetée lors du débat qui avait suivi, les détracteurs du projet ayant recours à deux types d’arguments :
- « nous ne voulons pas nous transformer en employeurs et favoriser l’émergence d’une technocratie dans AC !  » ;
- « nous sommes contres les emplois aidés au profit des patrons, ce qui nous interdit de les utiliser pour nous  ».
Presque deux ans plus tard, force est de constater qu’un certain nombre de collectifs (Belfort, Cargo, Nord-Pas de Calais, Sarcelles..) ont effectivement recours à ce type d’emplois, sans qu’aucun contrôle collectif ne permette de savoir ce qu’ils en font, ou comment ils procèdent. Les pratiques sont réelles mais restent locales ce qui d’une part interdit leur généralisation et, d’autre part, laisse le champ libre à toutes les dérives.
Les récents « déboires  » financiers d’AC ! et les réactions qu’ils ont suscités montrent à quel point il est difficile de travailler à plein temps pour le mouvement payés au RMI ou à l’ASS comme le font des dizaines de camarades partout en France. Le besoin de financement de l’activité militante est plus que jamais réel. De plus, toute observation sérieuse des pratiques en vigueur hors d’AC ! parmi les précaires découvre que l’utilisation des emplois aidés, pour maximiser le revenu socialisé et/ou l’utilité sociale d’une activité, est un comportement courant Pourquoi alors refuserions nous l’usage de cette arme ? Dans un contexte modifié, la question du recours aux emplois aidés doit être débattue à nouveau : ce n’est plus d’instituer une pratique nouvelle qu’il s’agit (cette pratique existe déjà ) mais de se donner des règles collectives pour en user de façon cohérente à nos orientations politiques.
Pour mémoire, quelques extraits du texte de la commission revenu en juin 1998.
« Les débats sur la structuration et le fonctionnement d’AC ! n’ont, pour l’instant, pas apporté de réponses satisfaisantes. Les dernières Assises ont permis de rappeler l’opposition largement majoritaire à la création de postes de permanents. Nous ne voulons pas reproduire une bureaucratisation dont nous constatons ailleurs les effets dévastateurs. Il faudra néanmoins se donner les moyens de développer les compétences parmi nous, de formaliser l’expérience des collectifs pour renforcer leur capacité d’action, de faire circuler ces acquis en notre sein et au delà , etc.
Des moyens et du temps pour produire du collectif
Pas d’autre choix que de construire du collectif (du lien social diraient certains) autour de la liberté de produire, produire autrement et autre chose. De produire par exemple (et avant tout, car nous ne pouvons nous contenter de l’aspect trop ponctuel des phases de mouvement) une capacité réelle d’auto-défense sociale contre la précarité. De ce point de vue, parvenir à garantir des formes de revenu à ceux qui contribuent à ces activités suppose une inventivité que des tabous idéologiques freinent actuellement. D’aucuns pourraient proposer, pour prendre l’argent là où il est, de réhabiliter la reprise anarchiste ou la réappropriation prolétarienne, d’aller prendre par la force les fonds nécessaires. Ce que nous proposons ici est tout autre. Nous proposons la ruse -et celle-ci n’a rien à voir avec une trahison ou une entente avec l’ennemi - car il est aujourd’hui temps d’utiliser notre expertise collective de la précarité et des formes du salaire pour entreprendre collectivement l’utilisation des emplois "aidés" de type CES, CEC, emplois-jeunes au sein d’AC !.
De même que nous nous efforçons d’utiliser des médias dont le fonctionnement et la logique nous sont entièrement opposés (misérabilisme du témoignage atomisant, occultations, verticalité, superficialité, etc.) tout en tâchant de mettre en oeuvre des formes de communication qui ne soient pas mass-médiatiques (lettre rapide, fax, courrier électronique, etc), nous devons trouver des usages de la précarité qui la retournent contre ceux qui l’organisent. Encore une fois, il n’y a pas d’autre choix que d’exister à la fois dans et contre, dedans et dehors, et de jouer au mieux de cette position pour pratiquer la résistance ET l’affirmation. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il ne s’agit en aucun cas de créer ainsi des emplois et de participer au Workfare : il s’agit d’assurer un revenu pour ceux qui en sont privés ou risquent de l’être totalement ou en partie. Nous ne pouvons nous croiser les bras dans l’attente que la revendication centrale d’un revenu garanti pour tous au moins égal au SMIC mensuel soit concrétisée. Il faut tâcher d’utiliser les dispositifs existants permettant d’accroître le revenu des chômeurs et précaires, même quand ils ont été conçus dans une perspective opposée à la nôtre. A nous d’avoir l’intelligence collective de se les approprier et de les soumettre à nos propres exigences.
Est-il bien raisonnable d’envoyer de nombreux jeunes sans revenu et chômeurs en fin de droits s’employer comme auxiliaires de police, surveillants ou contrôleurs afin de subvenir à leurs besoins ? Il est de notre responsabilité collective de capter ces sources de revenu que sont les "emplois aidés" au profit des principaux intéressés, les chômeurs et précaires, et de leurs luttes collectives.
Malgré leur niveau de rémunération misérable, ces emplois constituent un apport financier pour tous ceux qui sont pratiquement privés de tout revenu ou en passe de l’être : jeunes de moins de 25 ans, chômeurs menacés de radiation, allocataires d’un RMI amputé pour cause de vie de couple ou de forfait logement. Avec les possibilités de cumul d’un CES et du RMI sur certaines périodes, les nouvelles dispositions des CEC ou un emploi-jeune, il est d’ores et déjà possible de faire accéder des chômeurs et précaires à un revenu qui approche du SMIC mensuel. De plus, ces emplois permettent l’accès aux allocations chômages et à l’AFR. S’ils sont employés contre la logique du système capitaliste, ils peuvent devenir des moments tactiques d’accès à un revenu pas indécent.
Dissipons quelques ambiguïtés
Il ne s’agirait pas pour AC ! de constituer une bureaucratie parisienne tentaculaire et inamovible. Au contraire ! Tous les collectifs pourraient ouvrir pour une partie de leurs membres ce type d’emplois qui sont, on le sait, de durée limitée. Cela permettrait ainsi d’assurer de manière tournante aux militants chômeurs et précaires une contrepartie minimale mais concrète au travail fourni et la possibilité de s’investir davantage dans la constitution d’une organisation horizontale, de mieux structurer le réseau que nous constituons déjà . Cela permettrait de ne pas s’en remettre sempiternellement aux camarades syndicalistes qui souvent sont les seuls à avoir les moyens d’inscrire leur action dans la durée.
Contrairement à ce qui a été dit lors de débats sur le fonctionnement d’AC !, il est parfaitement absurde de penser que des emplois au sein d’une organisation de lutte comme AC ! pourraient n’avoir aucun caractère politique, comme s’il s’agissait de recruter des secrétaires de direction et des employés de bureau qui se retrouveraient alors en situation d’exploitation autant qu’ailleurs. Il s’agit bien au contraire, de permettre au mouvement des chômeurs et précaires de multiplier les pratiques d’autovalorisation. D’une part, l’utilisation de ces dispositifs au profit d’AC ! est un acte politique en soi, une forme parmi d’autres d’action-revenu. D’autre part, l’activité même de ces militants est politique, soumise au contrôle collectif. Le but recherché ne doit pas nous amener à reproduire les conditions d’exploitation du monde salarial (pointage aux réunions et aux manifs ? convocations aux distributions de tracts ? assignation à la photocopieuse ?), ou de coiffer le temps et le contenu du travail du contrôle d’une foule de patrons. Le but n’est pas non plus de lancer une opération humanitaire ou caritative.
Il s’agit simplement de rémunérer des activités politiques existantes afin de les développer, de les consolider. AC ! doit continuer à remplir son rôle d’ingénieur social des luttes en lançant cette nouvelle initiative pour le revenu. Si nous ne le faisons pas, nous resterons bloqués. Pire encore, chacun sera encouragé à rechercher localement les conditions d’une continuité : avec tous les risques d’institutionnalisation au niveau local, dans la dépendance vis-à -vis de fractions des classes politiques locales ou des institutions de traitement du chômage. Ce mouvement contradictoire est déjà amorcé. De nombreux collectifs cherchent les moyens de perdurer au delà des phases de mobilisation durant lesquels les militants se dépensent sans compter. Si nous n’y réfléchissons pas ensemble, ce sera le chacun pour soi  ».
Commission revenu d’AC !.