Un prix Nobel favorable au revenu de base ?
par
Joseph E. Stiglizt
Peuples, pouvoir et profits. Le capitalisme à l’heure de l’exaspération sociale.
LLL éditions, 2019.
Le revenu de base universel p. 233, sq.
« Certains, notamment dans les milieux de la haute technologie ont avancé une proposition fascinante : compléter nos mécanismes de sécurité sociale existants par un revenu de base universel. D’autres on même suggéré que ce revenu de base devrait remplacer les multiples programmes d’aide sociale actuels.
Fondamentalement un revenu de base universel serait une allocation versée à tous les citoyens. Tout le monde recevrait un chèque de l’État, disons le premier de chaque mois. Bien entendu, ceux qui ont de bons emplois reverseraient à l’État, sous forme d’impôts, beaucoup plus qu’ils n’auraient reçu. Le revenu de base servirait de filet de sécurité pour tous, mais les coûts administratifs qu’impliquaient les programmes ciblés comme l’assurance chômage et les bons d’alimentation n’auraient plus raison d’être.
Les partisans de ce système font expressément valoir son utilité pour atténuer les effets négatifs de l’évolution actuelle de l’économie : la robotisation s’accroît, et la richesse peut se créer à vive allure alors que les possibilités de trouver un emploi se raréfient.
Le revenu de base universel à quelque avantages très nets. Il pourrait faire progresser l’égalité et soutenir financièrement ceux qui ne trouvent pas d’emploi. Il pourrait éliminer les procédures bureaucratiques nécessaires pour avoir accès à chacun des multiples programmes d’aides et de protection sociale comme les bons d’alimentation et Médicaid.
Mais je ne crois pas que se limiter à procurer un revenu soit la bonne méthode pour la plupart des gens, le travail est un aspect important de la vie. Cela ne signifie pas qu’il doive durer quarante heures par semaine. […] et nous pourrions survivre si la durée du travail était raccourcie, disons à vingt cinq heures. La réduction du temps de travail a conduit, en fait, à une hausse de la productivité et beaucoup ont trouvé des façons productives à utiliser leur temps de loisir supplémentaire, même si d’autres très nombreux aussi ne l’ont pas fait. […]
Beaucoup dans la jeune génération, me disent que cette obsession pour le travail est une façon de penser caractéristique du XXe siècle, et qu’un revenu de base universel leur permettrait de vivre une vie spirituelle, ou une consacrée à aider les autres sans emploi en bonne due forme.
L’idée n’est pas a écarter – mais je reste persuadé qu’elle ne résout pas les problèmes inhérents au chômage massif, ni les déficits de dignité qu’il crée. L’emploi reste la colonne vertébrale d’une économie saine et nous avons besoin d’un vaste programme […de créations d’emplois. [Propositions plus loin dans le livre.] Mais avant d’aborder ce sujet, nous devons noter une autre limite à l’idée de revenu de base universel : étant donné la pingrerie de la politique libérale américaine, il est invraisemblable qu’un système de base universel puisse être assez généreux pour apporter un soutien financier qui approche même de loin le niveau de subsistance. Si on voulait le faire, son coût exigerait de substantielles augmentations d’impôts. »
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Commentaires en bref.
. Robotisation. Livres, arguments, études chiffrées font valoir que près de 40 % des emplois sont menacés de disparition (Etude d’Oxford...), plusieurs « papiers » sur ce site). Syndicats et partis politiques sont sur ce sujet à peu près totalement muets... Fort inquiétant silence.
.Réduction du temps de travail, les 25 h de Stiglizt. Quelques syndicats (Solidaires…) préconisent les 32 h hebdo, sauf en note bas de page et en petits caractères, les autres syndicats et partis politiques ne sont guère diserts et farouchement revendicatifs pour la rtt. L’articulation et complémentarité du revenu de base et de la rtt est notable chez Stiglizt. Les partisans du revenu de base « oublient » trop souvent (pas toujours, nuançons) la rtt.
. Loisirs productifs. Si le revenu de base et la rtt sont des revendications économiques d’urgences immédiates. L’usage du temps libéré de la nécessité du travail ouvre de nouveaux horizons philosophiques vers un nouvel usage du temps libéré de son usinage et mésusage. Qui peut imaginer, prévoir ce que serait une société où toutes et chacun auraient le loisir, la liberté de « travailler » au perfectionnement de soi-même ?
L’otium du peuple pour avoir le loisir de Bâtir la société du temps libéré (André Gorz).
. Pingrerie. Manque de générosité, ne pas faire de cadeaux (Le dictionnaire). La pingrerie des classes dirigeantes étasuniennes sévit également. En France, le décrochage du rsa (ex rmi), de tous les minimas sociaux par rapport au smic, l’amputation des maigres allocations chômage, l’incessant grignotage des pensions de retraite,… Hors du travail point de salut.
. De substantielles augmentations d’impôts. En France – Maastrichienne discipline oblige - la fiscalité mise en place par M. Macron est systématiquement favorable au très riches (politique de l’offre).La suppression (ou forte diminution) de la contrainte-travail, travail-emploi (A.Gorz) serait fatale aux privilégiés et autres ploutocrates. Une subtile instrumentalisation du besoin est mise en œuvre depuis de longues années. La pingrerie est une stratégie, bien plus qu’une simple comptabilité.
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De façon sensible, philosophiquement Stiglizt est plutôt favorable au revenu de base, mais il semble avoir conscience des énormes difficultés , de la révolution culturelle, politique qu’occasionnerait son instauration.
On consultera la bio pour, plus précisément situer l’auteur. Une « pointure » dans son domaine. Prix Nobel et hautes fonctions. Sa présentation nuancée et prudente du revenu de base universel est à considérer sérieusement par tous ceux qui militent pour son avènement et son indispensable pendant et complément, la (forte) réduction du temps de travail. Bien d’autres analyses et propositions dans le livre commenté, nous avons volontairement focalisé sur le revenu de base universel.
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Alain Véronèse pour les commentaires.
15 octobre 2020.