Tous àla campagne !

par CARGO
jeudi 3 octobre 1996
par  le réseau d’AC !

L’élection de Chirac a été facilitée pour partie par une campagne qui avait su reprendre habilement l’aspiration àune rupture avec le discours des gagneurs des années 80. Sésame électoral, la dénonciation de la « fracture sociale  » et de la « pensée unique  », visait àse démarquer d’une droite libérale que l’échec du projet CIP d’officialisation du SMIC-jeunes avait ànouveau révélé moins apte que le parti socialiste àpratiquer cet exercice privilégié du pouvoir étatique : la restructuration de l’organisation sociale du travail. Simultanément, l’accent mis sur le changement permettait de répondre au retour des luttes salariales qu’avait justement contribué àinitier le mouvement de mars 1994. Révélation en forme d’aveu, la fiche de paye n’était plus, le temps d’une campagne, l’ennemie de l’emploi.

Pour gagner, cette droite dà» aussi composer avec la popularité de spectaculaires actions sur le logement qui mirent sur le devant de la scène les questions dites de l’exclusion. La dimension caritative de ces mouvements venait d’ailleurs renforcer le discrédit d’une gauche qu’une gestionnite aiguë et prolongée avait mise au service d’un libéralisme àpeine dissimulé. Chirac a ainsi réussi le tour de force de se faire élire en dénonçant la croissance des inégalités tout en donnant des gages certains au patronat (baisse des charges sociales, volonté de réforme de l’État...). Mais la machine gouvernementale connaît déjàquelques ratés. Il ne peut en être autrement. Une majorité si exceptionnelle va encourager les compétitions internes àla droite et tous les caprices de revanche sociale risquent de se donner libre cours. Tout se passe comme si le syndrome de 86 ou l’échec du CIP avaient sombré dans l’oubli. Mais il serait de mauvaise politique d’espérer que l’arrogance des vainqueurs fournisse un tel lot de faux-pas que l’expression plus ou moins éphémère mais répétée de refus finisse par permettre que se constitue une force sociale apte àimposer une alternative.

BAISSE DU COUT DU TRAVAIL OU GARANTIE DU SALAIRE ?

La priorité affichée du gouvernement de lutter contre le chômage se voit couplée àla volonté contradictoire de ramener le déficit budgétaire vers un seuil compatible avec le passage àla monnaie européenne unique en 1999. Les maigres « cadeaux  » distribués aux salariés (hausse du SMIC, augmentation de l’allocation de rentrée scolaire...) ne doivent pas masquer que le gouvernement, poursuivant en cela l’Å“uvre de son prédécesseur, construit l’essentiel de sa politique sur la distribution massive d’aides aux entreprises, financées par une hausse de la TVA, dont l’iniquité n’est plus àdémontrer.

C’est ainsi qu’avant de s’attaquer directement (et le plus possible en coulisse et sous le manteau) àla feuille de paie des salariés, aux allocations perçues par les chômeurs ou aux pensions des retraités, le gouvernement a décidé de subventionner les emplois peu rémunérés : le Contrat Initiative Emploi permet donc àune entreprise de recevoir deux milles francs par mois et de ne pas payer de charges pendant un an pour l’embauche d’un chômeur. Dans le même temps il se murmure, parfois avec fracas - remember Madelin -, que les contrôles des allocataires du RMI pourraient être plus sévères, qu’une prestation de travail pourrait être exigée en échange de son versement ; son attribution au niveau du canton laisserait de plus la porte ouverte àun nouveau clientélisme. On assiste donc tant àun renforcement de l’idéologie du travail qu’àl’émergence d’une nouvelle forme d’assistanat, celle de « l’entreprise-citoyenne  ».

Or, ces largesses ont un prix. Si l’objectif de réduction des déficits est maintenu - et cela semble nécessaire àla bonne tenue du franc comme àla croissance des investissements étrangers -, il faut s’attendre àdes attaques en rafales contre le salaire social, c’est-à-dire contre la rétribution globale de la classe.

Même si le CIE rencontre un certain succès - 55 000 embauches -, il vient, si on comptabilise les sorties (retraites, fin de contrats), combler àmoindre frais des postes vacants. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Malgré l’aubaine des subventions, les patrons ne se précipitent pas pour embaucher car l’augmentation de la productivité due aux nouvelles techniques de production entraîne une réduction du travail nécessaire au sein de l’entreprise. Outre les modifications du capital fixe, l’augmentation de la productivité provient également d’un changement profond de la composition subjective du travail : nos formations, nos cultures, nos activités sont directement captées par le capital qui en fait une utilisation immédiatement productive. Ce temps-làn’est évidemment pas ou peu rétribué.

UN SALAIRE POUR LES PRÉCAIRES !

La nouvelle manière de comptabiliser les chômeurs n’est pas qu’un scandaleux tripatouillage visant àfaire baisser les statistiques : elle reconnaît implicitement le travail précaire comme catégorie en constante expansion. Il y a de moins en moins séparation rigide entre le chômage et le travail. En terme de flux les CDD constituent 70 % des emplois créés. En terme de stock, parmi les cadres employés par exemple, 20 % le sont àdurée déterminée. C’est cette réduction réalisée du temps de travail que la précarité de l’emploi représente qu’il s’agit maintenant pour nous de faire payer !

Les échéances prochaines (loi-cadre contre l’exclusion (?), réforme de l’UNÉDIC ou de la fiscalité, etc..) soulignent ànouveau le rôle central de ce capitaliste collectif qu’est devenu l’État, dans la gestion et la rétribution de la force de travail (c’est lui qui décide àquel prix il la brade). C’est sur ce terrain d’un salaire socialisé que s’établissent les rapports de force. La priorité politique, c’est de lutter pour la garantie du salaire, que l’on soit employé àtemps plein, travailleur précaire, scolarisé ou chômeur et pour que notre temps ne soit plus assujetti aux normes du capital.

Face aux prochaines réformes, la résistance ne suffira pas. AC ! doit avoir pour perspective de devenir un pôle d’initiatives. C’est de ce point de vue qu’une mobilisation s’impose pour faire avancer la revendication du revenu. Des actions-revenu telles que celles menées précédemment (occupations de BAS, CCAS, CAF ou ASSÉDIC) peuvent se multiplier et gagner en ampleur si nous le décidons.

Ces actions répondent de manière efficace àun état de nécessité puisqu’elles permettent d’obtenir immédiatement des moyens d’existence (des sous !). Leur diffusion sur tout le territoire rythmerait la mobilisation centrale prévue contre le régime UNÉDIC et pourrait imposer au cÅ“ur du débat social la question d’un droit àun revenu décent.

Paris, le 3 octobre 1995.

CARGO c/o MTLC, 21 ter rue Voltaire 75011 Paris.


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