Ce qu’il faut de courage

Plaidoyer pour le revenu universel, Benoît Hamon, Éditions des Équateurs. 2020
dimanche 8 novembre 2020
par  Paris Sud

. Recension et commentaires.

Le livre de Benoît Hamon, commence par un rappel historique.
« Thomas Paine (1737-1809), parmi les premiers défend le principe d’un revenu versé à tous les citoyens, indépendamment de la situation matérielle et financière de chacun. Son idée était révolutionnaire par sa simplicité » (p.10).
Au jour d’aujourd’hui « le temps du revenu universel est venu. C’est ma conviction. », écrit Benoît Hamon qui défend la création qui soit versé à tous (universel), sans contrepartie (inconditionnel) et tout le temps de la vie. » (p.9).

Ce revenu présenté comme un « droit créance » pourrait changer le rapport au travail.
Au travail-emploi plus exactement. En augmentant le pouvoir de négociation des salariés face aux « offres »de « boulots à la con », bullshit jobs dans la langue de David Graeber. En effet, « 54,3 % seulement des Français estiment faire un travail utile pour la société ». (p.34) La comédie du travail est de moins en moins séduisante…
La considération et promotion du droit au revenu, n’est pas seulement une histoire de gros sous. Il en faut pour vivre. L’ambition du livre est de mener une critique idéologique, de l’ordre de la philosophie politique contre la doxa du politiquement correct en matière économique. « Dissiper les ombres et redécouvrir l’horizon d’une vie bonne, voilà le projet de ce livre. » (p.47).

Ainsi « … le revenu universel d’existence (RUE) est la clef de voûte d’un projet politique qui valorise la réduction du temps de travail, la transition écologique, l’augmentation du temps libre, la redistribution du pouvoir dans l’entreprise, l’avènement d’une société post-capitaliste. » (p. 51).

Fichtre ! La route est longue et rude la pente qui mène vers la société post-capitaliste ! L’itinéraire n’est guère fléché, d’autant que Benoît Hamon nous fait retourner en arrière dans l’antiquité grecque et romaine où les citoyens servis par les esclaves participaient assidûment à le skholè (grecque) et à l’otium (romain) (p.57, 58).

Aristote (384-322 avant notre ère), il est vrai, avec grande avance avait prévu, que la robotique et l’intelligence artificielle pourraient inverser les priorités entre temps de travail (nécessité), et temps libre (liberté).
De fait, l’essentielle révolution est celle qui permettrait d’instituer l’otium du peuple. Qui est sans doute la visée de Benoît Hamon ?

En attendant l’otium du peuple et le skholè généralisée, l’auteur égratigne complaisamment la « valeur travail ». « Le travail colonise les existences, dans une société marquée par le sous-emploi ; le chômage de masse et le sur-travail de ceux qui occupent un emploi. On a jamais autant travaillé tandis qu’il y a si peu d’emplois à se partager. » (p.72).
Il faut reconsidérer, réévaluer la « valeur travail », le droit au revenu ne doit plus être calculé, concédé selon « l’employabilité ». Ainsi « Chaque individu qui naît en ce monde, du seul fait de son appartenance à l’humanité à doit à un revenu garanti [le « droit-créance »] indispensable à sa dignité et au libre développement de sa personnalité d’un montant suffisant pour lui permettre d’accéder aux biens et services essentiels. Il s’agit du premier fondement philosophique et politique du revenu universel d’existence (RUE). »(p.74).

La déconnexion travail-emploi, selon la formulation d’André Gorz (brièvement cité) est d’autant plus urgent que la révolution numérique et l’intelligence artificielle avancent à grands pas.

La substitution logicielle. Les projections sont désormais parfaitement connues. Selon Carl Frey et Michael Osborne, deux chercheurs à Oxford, 47 % des emplois pourraient être remplacés par des machines et des logiciels, d’ici à vingt ans. » . Et [ …] contrairement à l’automatisation passée le processus menace des emplois qualifiés ». (p.130).
En conséquence, Benoît Hamon, de fustiger la gauche « qui ne peut plus se contenter de ce discours aussi paresseux qu’indécent sur la « valeur travail » quand la quantité de travail ne permet plus de fournir un emploi à chacun, quand le chômage de masse est devenu structurel, quand la précarité des travailleurs grandit et que les conséquence de ce rapport totalement défavorable au travail débouchent sur une soumission croissante des individus dans l’entreprise et dans la cité » (p.221).
L’auteur de redécouvrir (?) la lutte des classes et de constater que la croissance des effectifs de « l ‘armée industrielle de réserve (K. Marx) est une nécessité pour la valorisation du Capital dont l’ardeur à défendre la valeur travail, n’a d’équivalent que la promptitude à organiser les licenciements…
Pour rétrécir les rangs de brigades de « quémandeurs d’emploi » une forte réduction du temps de travail est indispensable, à l’embauche le revenu universel renforce les capacités de négociation des chômeurs. Le RUE, « une bombe démocratique » comme l’affirme l’ancien candidat à l’élection présidentielle ? Peut-être. Abordons le point sensible : parlons pognon.

Comment passer à l’acte ?
Le RUE « C’est une décision en tous points comparable à la création de la sécurité sociale en 1945. Le problème n’est absolument pas de « trouver » des financements qui n’existent pas – l’argent existe – mais de décider souverainement si nous voulons attribuer ou pas les financements nécessaires au versement d’un revenu universel aux Français. » (p.228).
Remarque : présentement pour « sauver » les entreprises, y compris celles qui continent de verser de copieux dividendes aux actionnaires, pour financer le chômage partiel,… les milliards surgissent de nulle part ? Quelle est donc la recette de cette cagnotte magique ?

De façon générale, ce n’est pas le pognon qui manque, c’est sa répartition qui pose problème.
« Le revenu universel n’est pas une nouvelle dépense. C’est une nouvelle distribution de la richesse produite en France. (p.230).
Nous avons les moyens. « Le PIB de la France s’établissait avant la crise du Covid à 2425 milliards d’euros. » (p.228).
Ayant fait les comptes de la macro-économie, Benoît Hamon de continuer.
« Pour un montant de 750 euros mensuels, montant que j’avais proposé en 2016, payés au 67 millions d’habitants de la France […] ce qui fait un total de 603 milliards d’euros… 25 points de PIB ! (p.227).
Généreux, mais réellement impossible a-t-on entendu dire de toutes parts.
L’auteur de préciser l’addition.
« Après diverses déductions : les mineurs auront droit à 300 euros, les étrangers établit en France mois de 5 années, n’auront pas droit au RUE… le coût peut être ramené à 500 milliards. » Les actuels minima sociaux sont « économisés » (RSA, ASS,…) car avantageusement remplacés par le RUE. Reste 500 milliards à récolter ce n’est pas rien.

Le chemin sera difficile
Une importante réforme fiscale est impérative. Sur ce point, l’ancien candidat propose que l’assiette des cotisations patronales soient assises sur la valeur ajoutée [et non plus sur la masse salariale décroissante dans les entreprises fortement robotisées] (p.239). Ça peut rapporter gros, mais ça va résister fort – très.
Les pages 224 à 246 présentent différentes pistes pour le financement. Les modalités d’accès au revenu ne sont plus exactement celles qui furent (difficilement) popularisées durant la campagne. Le principe reste établi.
En simplifiant (je renvoie le lecteur à l’original) les grandes pistes de financement sont au nombre de quatre (p.240, 241).
. les cotisation patronales indexées sur la valeur ajoutée . Déjà évoquée.
. la taxe robot nommée durant la campagne. [c’est de fait une taxe sur le Capital... ça va râler dans les palaces !]
. taxe sur les ressources naturelles. Il s’agit d’étendre aux sous-sols et à tous les communs naturels l’idée de Thomas Paine : le principe de la propriété publique des sols afin que l’État puisse les louer pour financer un revenu de base à tous. (p. 239). [Les sociétés pétrolières font faire de la résistance.] . une taxe de 0,1 % sur les actifs et les produits structurés d’une part et de 0,05 % sur l’ensemble des transactions et produits financiers dérivés, d’autre part rapporterait 200 milliards à l’échelle européenne et 36 milliards en France. »(p.241). [Les amis de M. Macron vont être sujets à de vertigineuses frayeurs…].

Avec cette façon de compter Benoît Hamon ne se fait pas beaucoup d’amis dans certains milieux.
Pourtant, quand on veut quelque chose on trouve des moyens. Quand on ne le veut pas on trouve des prétextes. Proverbe.

Le lecteur saisit que l’auteur a depuis 2016, travaillé la question, pris conseil pour proposer un bouquin qui « tient la route ».
La transition écologique, les quelque lignes de tonalité décroissante, la critique du contenu du PIB,… questions fondamentales qui auraient méritées d’être mieux, plus amplement argumentées.
L’instauration du RUE sera nécessairement précédée d’une révolution d’écologie mentale.
Patience. « Le chemin sera difficile. Il faudra du courage. Il faudra de la persévérance. » est-il écrit dans les dernières pages du livre. Vrai. Ce n’est qu’un début, continuons le débat.

Paris Sud 1er novembre 2020.


Documents joints

Plaidoyer pour le revenu universel