Pour en finir avec toutes ces aides conditionnées et stigmatisantes.

jeudi 18 juin 2020

En réponse à la violente charge de l’Observatoire des inégalités contre le revenu universel avec l’article de Louis Maurin : » Pour en finir avec le revenu universel. »

par Guy Valette, publié le 5 juin 2020

Pour l’auteur «  le revenu universel est une aberration économique et sociale est aussi une injustice. Rares sont ceux qui comprennent qu’il serait distribué aux riches comme aux pauvres. » et il serait irréalisable car il coûterait un pognon de dingue : «  Faisons les comptes 900 euros multipliés par 12 mois pour 50 millions d’adultes = 540 milliards d’euros (et encore nous n’avons pas compté les enfants). L’ensemble des dépenses de l’État se montent à 340 milliards par an, le budget de tout l’hôpital public 70 milliards. On mesure tout de suite l’enjeu. » Enfin il donnerait l’illusion que le travail n’est plus central dans la création de richesse : « Le fondement de la répartition de la richesse, et donc des rapports sociaux, reste le travail. En acceptant le revenu universel, ils se mettent à la merci d’une société qui produit leur revenu et qui, du jour au lendemain, peut décider de l’arrêter. »

Si on peut être d’accord avec la proposition de l’Observatoire des inégalités pour exiger un revenu minimum unique de 900 euros pour un adulte, véritable avancée dans le cadre du mode redistribution actuel, il nous faut répondre pourquoi nous défendons cette idée d’un revenu de base universel, inconditionnel et individuel en reprenant les affirmations de l’auteur sur cette idée dont l’heure est venue.

D’UNE REDISTRIBUTION CURATIVE VERS UNE REDISTRIBUTION TRANSFORMATRICE.

Si « Le fondement de la répartition de la richesse, et donc des rapports sociaux, reste le travail, » On assiste non pas à la fin du travail mais à sa dispersion, sa déstructuration et sa dévalorisation.

Si la richesse est bien produite par le travail humain, il est aussi incontestable que c’est la mauvaise distribution de celle-ci qui crée la précarité et ne permet plus d’assurer correctement l’existence pour une part croissante de travailleurs.

L’économiste américain William Brian Arthur affirme que l’économie en est arrivée à un point où la production est largement suffisante pour satisfaire les besoins de tous, mais où les emplois générateurs de revenus suffisants pour accéder à toute cette richesse produite, se font de plus en plus rares. La question centrale n’est donc plus comment produire davantage, mais bien comment répartir mieux la richesse créée.

Devant l’assèchement de la distribution de la richesse par le salaire, qui se traduit à la fois par l’augmentation du chômage, l’exclusion du système de production, la précarité dans l’emploi et de grandes inégalités, L’État a dû, au fil du temps et au gré des politiques du moment , mettre en place un système de redistribution de la richesse.

Par l’impôt on finance :

  • Des minima sociaux (RSA, ASPA, etc…)
  • Des aides aux familles qui s’ajoutent aux allocations familiales (Aides aux parents isolés, ARS, APL, bourses scolaires, etc…)
  • Des aides au travail pour le salarié (prime d’activité) et pour l’employeur (CICE, réduction Fillon, etc…).

Toutes ces aides absorbent largement le montant de l’impôt sur les revenus (I.R.) payé par moins de la moitié des foyers fiscaux et de ce qui reste de l’I.S.F. rebaptisé I.F.I. payé par seulement les gros propriétaires immobiliers.

Cette redistribution curative, à postériori, conditionnée, stigmatisante, familiarisée, si elle soulage et corrige partiellement les inégalités, elle ne réussit pas à s’attaquer aux causes de la pauvreté et laisse encore plus de 9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté dont 2 millions de travailleurs. De plus de nombreux allocataires, par la complexité des procédures administratives ou par méconnaissance, ne perçoivent pas le niveau des aides dont ils ont droit. Enfin elle divise la société en « sous citoyens  », (les «  ayant-droits  », « le monde des assistés »), contributeurs (les classes moyennes) pendant qu’une petite minorité fait sécession à coup d’optimisation fiscale, ce qui induit ressentiment, méfiance et repli sur soi.

S’il est urgent d ‘augmentation des minimas sociaux, d’étendre le RSA aux jeunes de 18 à 25 ans, ces aides dépendront toujours de l’État, à la merci d’un gouvernement qui détermine sa politique sociale en fonction de sa politique budgétaire.

Sans perdre de vue l’impérieuse nécessité de rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en :

  • Substituant à la redistribution actuelle, organisée par l’État une redistribution universelle transformatrice, préventive et inclusive, administrée par une branche de la Sécurité sociale, (1) qui immunise l’ensemble du corps social contre la misère et la précarité,

avec l’allocation d’un revenu universel d’existence inconditionnel et individuel fondée sur deux principes et une condition :

  • Principe de solidarité : Chacun contribue en fonction de ses moyens (en revenus et en patrimoine) à la satisfaction des besoins élémentaires de l’ensemble de la communauté pour se nourrir et se loger dignement en toute circonstance,
  • Principe d’universalité : Tout le monde reçoit, tout le monde participe au financement. A revenu universel, contribution universelle.

Enfin, ce revenu doit être d’un montant suffisant pour éradiquer tout au long de la vie la pauvreté en se substituant à toutes les aides conditionnées financées par le budget de l’État. (2)

En effet parce qu’il existe, tout être humain a besoin, pour pouvoir exercer pleinement une activité, se produire socialement, outre à l’accès à l’instruction et aux soins, d’assurer quotidiennement le couvert et le logis dans des conditions satisfaisantes pour lui et pour toute sa famille. Par la socialisation d’une partie des moyens dont chacun dispose il est possible d’assurer, en toute circonstance à tous les membres de la communauté, ce revenu minimum garanti.

Cette redistribution universelle qui se substitue à la redistribution actuelle par l’impôt sur le revenu ne coûtera pas un pognon de dingue. Le coût exorbitant énoncé par l’auteur » 900 euros multipliés par 12 mois pour 50 millions d’adultes = 540 milliards d’euros » est un fantasme car ce serait considérer que les 50 millions d’adultes n’ont aucun revenus d’activité ni de patrimoine. En réalité le flux des plus riches vers les plus démunis ne dépend, comme actuellement, que du niveau des inégalités.

Alors oui «  il serait distribué aux riches comme aux pauvres. » Mais chacun, par la richesse créée par son travail et/ou par le capital qu’il possède, contribuera à la hauteur de ses moyens à cette véritable « assurance vie » pour tous. Chacun est à la fois ayant droit ET contributeur, certains seront allocataires nets d’autres contributeurs nets, mais jamais, qu’elles que soient les circonstances, les revenus individuels seront inférieurs à un minimum et ce de manière inconditionnel.

L’exemple développé avec un revenu universel de 860 euros tout au long de la vie montre que par rapport à la situation actuelle :

  • Pour 95 % des situations la comparaison est favorable.
  • 100 % de la population est au-dessus du seuil de pauvreté (1040 €)
  • Les populations modestes et médianes sont aussi bénéficiaires dans cette redistribution universelle.
  • Le bilan global est équilibré.

Cette allocation universelle s’inspire de l’esprit de l’ exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 sur la création de la Sécurité sociale :

« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité …  »

« ...Envisagée sous cet angle, la sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité  ; un tel résultat ne s’obtiendra qu’au prix de longues années d’efforts persévérants, mais ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, c’est d’organiser le cadre dans lequel se réalisera progressivement ce plan. »

Sans attendre des lendemains qui chantent, en socialisant une partie des revenus d’activité, et en trouvant les moyens de faire aussi contribuer le capital (capital productif, financier et immobilier) il est possible aujourd’hui d’allouer immédiatement et de manière inconditionnel un revenu universel garanti (3). Véritable salaire social déconnecté du travail individuel mais bien en lien avec la richesse créée par le travail collectif, il assure à l’ensemble des membres de la communauté, en toute circonstance, quel que soit le statut social de chacun, de quoi se nourrir sainement et se loger confortablement en toute sécurité, bref de "débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité …"

On sera toujours aux cotés de l’Observatoire des inégalités pour dénoncer ces injustices qui menacent la démocratie et on se joint à tous ceux qui dénoncent un projet libéral qui vise à détacher l’individu de ses liens culturels et sociaux et à le « libérer de toute tutelle » pour en faire cet « électron libre  », seul responsable de ses échecs comme de ses succès, qui avec un revenu de base comme seule assurance, ne manquerait pas de continuer à être happé et exploité par le «  grand marché  » tant comme travailleur que comme consommateur.

Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et savoir faire la distinction entre :

  • un revenu de base , véritable cheval de troie pour en finir une fois pour toute avec la Sécurité sociale comme le propose E. Verhaeghe dans cet article : Remplacer la Sécurité sociale par un revenu universel ,
  • et un revenu de base universel d’existence, fruit de la solidarité de tous, qui étend les prérogatives de notre Sécurité sociale et qui peut être au contraire un facteur d’émancipation individuelle en redonnant sa place dans la société à celui qui aujourd’hui en est exclu ou n’a pas les moyens d’exercer pleinement sa citoyenneté, faute de temps ou d’argent.

La pandémie du COVID-19 comme le mouvement des gilets jaunes ont révélé l’ampleur de la crise sociale et l’urgence qu’il y avait à refonder notre Sécurité sociale ; ne nous laissons pas distraire par des querelles inutiles qui sapent nos capacités à agir.


(1) Comme l’écrit Nancy Fraser dans : « Qu’est-ce que la justice sociale ?  » :

« Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes.  »
(…) « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

( 2) Schéma 1 : Redistribution curative actuelle par l’État, en fonction des revenus, de la situation familiale, on est éligible ou non à des aides sociales.


Schéma 2 : Redistribution transformatrice, les revenus nets ne peuvent jamais être inférieurs au revenu universel d’existence alloué inconditionnellement.


(3) Lire : « Après le COVID-19, l’urgence d’un revenu d’existence , clé de voûte de la protection sociale. »